Contrairement à ce que laisse entendre l’enseigne, Leclerc n’est pas un nom inventé pour la grande distribution. Derrière cette marque à l’ancrage populaire, deux générations se succèdent : Édouard Leclerc, fondateur autodidacte, puis son fils Michel-Édouard Leclerc, figure médiatique et stratège du groupe.
L’histoire de cette transition n’a rien d’un passage de témoin ordinaire. Les choix de gestion, les valeurs familiales et les ambitions de modernisation s’entremêlent, dessinant une trajectoire singulière pour l’une des plus grandes enseignes françaises.
Leclerc, une histoire de famille qui a changé la grande distribution
13 décembre 1949, Landerneau, Bretagne : Édouard Leclerc ouvre un magasin minuscule. Son idée ? Vendre au plus près du prix d’achat pour rendre accessible ce qui était jusqu’alors réservé à quelques-uns. Leclerc ne se contente pas d’afficher des étiquettes attractives : il secoue le commerce traditionnel et entraîne rapidement d’autres commerçants dans son sillage. On assiste à la naissance d’un groupement d’indépendants, où chaque magasin garde ses racines tout en partageant un même objectif.
Pour structurer ce réseau qui grossit à vue d’œil, Leclerc s’appuie sur des outils qui feront date :
- GALEC pour négocier les achats
- Scamark pour développer les marques de distributeur
Cette organisation donne au mouvement une souplesse rare, à l’heure où la grande distribution commence à se concentrer autour de mastodontes comme Carrefour ou Intermarché. Leclerc, lui, avance à son rythme, sans jamais perdre l’accent breton ni l’esprit d’origine.
Certains noms jalonnent ce parcours et en témoignent :
- Jean-Pierre Le Roch, d’abord pilier du réseau avant de prendre son envol avec Intermarché
- André Jaud
- Joseph Fourrage
Ces pionniers incarnent une culture maison : privilégier la décentralisation, encourager la prise d’initiative, et faire de chaque magasin une aventure entrepreneuriale. Résultat : plus de 720 magasins en France et en Europe à l’aube de 2024. Une croissance qui n’a rien de mécanique, portée par une rivalité féconde avec les autres géants, mais aussi par la capacité de Leclerc à défendre bec et ongles le pouvoir d’achat.
Leclerc, c’est finalement un nom devenu symbole, intimement lié à l’évolution de la consommation dans l’Hexagone.
Michel-Édouard Leclerc : qui est vraiment l’héritier du nom et de l’enseigne ?
Unique enfant d’Édouard Leclerc, Michel-Édouard reprend le flambeau, mais à sa façon. Depuis 2005, il préside le groupe et s’impose dans le débat public, enchaînant sorties médiatiques et initiatives inédites. Le nom Leclerc pèse lourd, mais il ne s’en contente pas : il secoue la communication, se dote d’un blog personnel, fait entendre sa voix sur la défense des consommateurs. Son style tranche : direct, parfois provocateur, toujours offensif. Sous sa houlette, l’enseigne s’aventure là où on ne l’attendait pas, drive, parapharmacie, voyages, téléphonie, tout en conservant l’esprit du groupement d’indépendants.
Un héritier, plusieurs facettes
Pour mieux cerner son profil, voici ce qui distingue Michel-Édouard Leclerc au sein du groupe :
- Président de l’enseigne E. Leclerc depuis 2005
- Fils du fondateur Édouard Leclerc
- Initiateur de concepts comme le Drive E. Leclerc, la parapharmacie et les espaces culturels
- Porte-parole assumé dans la défense du consommateur
Son influence repose autant sur le nom que sur sa capacité à renouveler le discours et à inventer de nouveaux formats. Aujourd’hui, il pilote un groupe fort de 250 000 collaborateurs, plus de 720 magasins, et capte près d’un quart du marché français. L’héritier du nom, c’est aussi celui qui a redéfini la marque à l’heure d’une consommation éclatée, exigeante, mouvante.
Entre héritage et innovations, à quoi ressemble l’avenir du groupe Leclerc ?
Sur les rayons, la bataille du prix bas ne faiblit pas. Mais loin des projecteurs, Leclerc prépare une transformation en douceur. Leader de la distribution alimentaire en France, le groupement d’indépendants n’a jamais cessé de chercher de nouveaux leviers pour renforcer sa position : en 2023, il affiche 22,7 % de parts de marché (source Kantar) et un chiffre d’affaires de 67,3 milliards d’euros en 2022. Une force que l’on retrouve autant dans la diversité de son offre que dans sa capacité à investir de nouveaux secteurs, de l’alimentaire à la téléphonie mobile.
Le modèle du groupement d’indépendants reste la colonne vertébrale, mais l’enseigne multiplie les initiatives : parapharmacie, automobile, voyage, espaces culturels, et bien sûr le Drive E. Leclerc, qui a ouvert la voie au commerce alimentaire en ligne. Leclerc développe aussi ses propres marques, Marque Repère, Éco+, Nos régions ont du talent, Tissaia, Bio Village, et s’appuie sur ses filiales industrielles comme Kermené (viande) ou Aquamark (eau) pour maîtriser ses approvisionnements et garder la main sur ses marges.
Pour continuer à peser face aux géants mondiaux, Leclerc mise sur la mutualisation des achats, en s’alliant ponctuellement à Système U, Coopernic ou l’italien Conad. Mais le parcours n’est pas sans embûches : condamnations pour pratiques commerciales, bras de fer avec les fournisseurs, débats autour de la vidéosurveillance algorithmique (Veesion). La défense du consommateur et l’éthique commerciale sont des marqueurs forts, mais aussi des points de friction avec les régulateurs et les rivaux.
Entre fidélité à l’héritage d’Édouard Leclerc et nécessité d’inventer de nouvelles réponses pour des clients de plus en plus mobiles, informés et exigeants, le groupe avance, bien décidé à ne pas se laisser distancer. Les prochains chapitres se joueront autant dans les entrepôts que sur les écrans, là où se réinvente la distribution française.